Job Saisonnier : ce Tinder de l’emploi

S’il y avait un domaine qui avait échappé à ma longue expérience professionnelle, se précarisant exponentiellement avec les années d’expérience accumulées, c’est bien l’emploi saisonnier. J’y avais vaguement goûté durant mes études mais à l’époque, le seul avantage c’était que si tu n’étais pas satisfait, tu avais la possibilité de changer de job en un claquement de doigt en l’espace de quelques jours. Il suffisait d’être motivé et fiable pour obtenir n’importe quel poste. Les conditions n’étaient pas terribles, mais cela avait au moins le mérite d’être plutôt bien rémunéré en contre-partie.

Depuis que j’ai entrepris mon changement de vie en déménageant en Ardèche, je m’attendais à avoir des déconvenues professionnelles car il n’y a pas de raison pour que les zones rurales soient épargnées, mais alors je ne m’attendais pas à ce que ce soit à ce point. Précisons que je me suis installée dans une zone très touristique, protégée par l’UNESCO, donc génératrice d’emplois saisonniers avec l’arrivée d’une forte affluence touristique étrangère en été. Il y a par contre très peu d’offres en CDI. Je le savais pertinemment mais je me suis dit qu’avec mes 10 ans d’ancienneté dans le commerce, je n’aurais pas trop de difficultés à travailler cet été, puis que j’aviserai par la suite, le temps de me constituer un nouveau réseau, voire à envisager de faire du télétravail pour une boîte lyonnaise…

Alors effectivement, bonne nouvelle, mon CV et mon expérience fonctionnent du tonnerre de Dieu!!!

J’avais été sélectionnée en avril pour travailler dans la boutique de mes rêves, spécialisée en lithographie depuis 33 ans. Un CDD de 6 mois rémunéré 2000€/mois en moyenne, pas loin de chez moi, après juste un entretien de 10 minutes, c’était trop beau pour être vrai! On a la poisse perpétuelle, ou on ne l’a pas. Je vous laisse deviner dans quelle catégorie je joue… Je n’ai vraiment jamais eu de chance dans ma vie… Juste cette saison, la propriétaire a rencontré un gros soucis de local et elle ne pourra pas ouvrir!!! Donc retour à la case départ…

Depuis, j’ai arrosé mon coin de CV et on me rappelle quasi instantanément pour me proposer… des essaisnon rémunérés… généralement durant les WE ou les jours fériés!

Mon premier eut lieu un dimanche matin, dans une boutique de vêtements/accessoires style indiens. Le patron m’a présenté son activité et la boutique en 5 minutes, puis il s’est barré au bar du coin prendre… son petit-déjeuner. Avouez que c’est pratique de juger une personne sur son travail lorsque l’on n’est pas sur place… Il est revenu 1h plus tard, a discuté avec d’autres commerçants dans la rue, 2/3 clientes, puis mon heure de départ étant arrivée, il m’a sorti qu’il avait encore d’autres personnes à tester et qu’il n’avait pas bien pu observer, par conséquent ce serait bien que je puisse revenir travailler un jour férié! WTF!
Bien entendu, il a zappé mon numéro.

La seconde, ce fut le pompon. Elle m’a appelé un jour férié vers 15h pour que je vienne dans l’heure pour une formation produit car elle m’avait soit disant pré-sélectionnée pour la saison. Bilan, ça devait durer 1h, mais elle a insisté pour me montrer la fermeture car j’avais 95% de chance de bosser avec elle. 4h de boulot gratuit plus tard, elle me dit que pour que ma candidature soit validée, je dois revenir travailler un samedi de grand WE de 10h à 17h. Elle me confiât des fiches produit à apprendre par cœur en plusieurs langues pour être opérationnelle de suite (ça m’a pris tout mon vendredi). Le samedi, je suis arrivée finalement à 9h30 afin qu’elle m’explique l’ouverture. Elle m’apprit par la même occasion que je finirai en même temps qu’elle, soit à une heure indéterminée (la veille elle avait fermé à 21h, ce qui représente une journée de 12h, soit environ 120€ de salaire si elle m’avait rémunérée). Bien entendu, c’était une mise en situation gratuite, sans pause déjeuner, sinon ça ne serait pas vraiment de l’esclavage moderne, on a mangé debout derrière le comptoir en renseignant les badauds. J’appelle ça de la prostitution déguisée, on vend son âme et son corps au diable pour un banal CDD de 2 mois au SMIC avec une amplitude horaires du style 9h/minuit, 7j/7!
Le soir, elle m’apprit que je devais encore revenir pour passer un entretien avec son boss! Au fond de moi, j’étais en train de bouillir, je n’en voyais pas la fin, combien de fois allait-il falloir que je me déplace pour valider cette p’tain de candidature???
Je ne postule pas pour faire avancer la recherche contre le cancer, je vends des produits alimentaires régionaux bordel !!!
J’y suis donc retournée le mercredi suivant. Le boss nous a reçu debout, dehors, durant 7 minutes (à 2 candidats). Il nous a posé pour toutes questions : « vous habitez où? Vous êtes du coin? Vous avez des potes? Un endroit où vous garer si besoin? », enfin bref des trucs sans intérêt.
Il a conclu en nous avouant qu’il avait encore une multitude de CV à étudier et qu’il avait donné son aval à la responsable afin qu’elle nous fasse faire autant d’essais que ce qu’elle le jugerait nécessaire vue que ça ne lui coûte rien. Là, j’avoue, un meurtre a failli se produire… Quel manque de respect pour les candidats en face de toi qui ont bossé gratuitement pour ta boite, dépensé des frais d’essence, et qui sont repartis sans même une ristourne lorsque l’on a voulu acheter un article.
Bon, inutile de vous préciser que depuis, je n’ai plus du tout de nouvelles…

J’ai alors repris contact avec une boutique du plus gros village touristique voisin. Concours de circonstance, j’avais passé un entretien avec eux dans un salon de l’emploi saisonnier et nous nous étions rendus compte que l’on se connaissait car ils étaient clients d’une de mes boutiques marseillaises et je leur avais vendu des articles. Ils m’avaient rappelé fin avril car ils avaient 2 postes à pourvoir. Ils m’avaient dit être très motivés pour que j’intègre leur entreprise pour la saison car ils connaissaient déjà ma méthodologie de travail. J’étais flattée par leur proposition mais le salaire proposé était minimaliste, les heures supp pas payées, peut être sans jours de repos, 2 heures de trajet quotidien pour s’y rendre, le parking payant… Bref, je n’étais pas emballée, mais bon je leur ai signifiée que j’étais ok. Ils m’ont demandé de repasser au magasin, je pensais que c’était pour régler des formalités administratives et là ils me sortent qu’ils aimeraient bien que j’effectue une matinée d’essai… un jour de marché… Je suis tombée des nus… Autant vous dire que le peu de motivation qu’il me restait s’est envolé.

 

Néanmoins, je pourrais difficilement me permettre de refuser le poste car je cesserai d’être payée par Pôle Emploi à partir du 22 juin… Après mon burn out en 2015, s’en est suivi 3 ans de galères de recherches d’emploi infructueuses, jonché de remplacements ponctuels sans intérêt me permettant à peine de reconstituer mes droits…

 

 

J’ai cette désagréable sensation d’avoir été inscrite malgré moi à une sorte de Tinder de l’emploi. Face à une offre de candidats potentiels tellement importante, les employeurs sélectionnent, utilisent, jettent, puis rappellent, et enfin se débarrassent de la masse salariale en se comportant comme des merdes. Non content de devoir parfois subir ce sort dans nos vies amoureuses, nous en sommes réduits à finir sur un marché similaire en tout point dans nos vies professionnelles.
Où sont donc passées les valeurs fondamentales de respect, de politesse, de compassion, d’empathie qui régissent les liens avec autrui? Comment est-on arrivé à ce paroxysme dans le monde du travail? Les choses sont pourtant simples à la base : une entreprise a un besoin ponctuel / un candidat possède les compétences nécessaires pour y pourvoir. C’est du donnant-donnant : mon temps/mes compétences/mon expérience contre une rémunération.
Nous en sommes réduits à être considérés comme des choses, des objets, manipulables, échangeables, corvéables à merci, déplaçables et il devient limite irrévérencieux d’oser réclamer son dû en contre-partie. On devait presque se satisfaire du fait que l’entreprise nous offre un statut social durant une période déterminée.

Quand je pense que mon grand-père a été commerçant dans ce même village durant 40 ans et qu’il considérait ces apprentis comme ses enfants, je pense que de là-haut il doit se retourner dans sa tombe de voir comment on traite actuellement sa descendance…

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