L’habitat indigne

Comme vous le savez certainement si vous me suivez par ici, j’ai quitté Marseille en avril dernier après plus de 15 ans à y résider et au moins 20 de plus à vivre à proximité. Ce n’est pas par que je n’y suis plus, que je ne me sens pas concernée par ce qui s’y passe. J’ai été horrifiée d’apprendre l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne, d’autant plus que j’ai eu mes bureaux durant plus de 3 ans dans la résidence juste en face des bâtiments effondrés… Je louais un petit RDC de 7m², refait à neuf, me servant principalement de local de stockage. Je n’y travaillais pas. quotidiennement car le web et le téléphone portable ne fonctionnaient pas.

 

Photo : copyright Mathieu Carbonnier

 

Mon immeuble était très délabré malgré tous les travaux entrepris pour l’améliorer et il était surtout mitoyen d’un bâtiment frappé d’un arrêté de péril depuis des années, qui était malheureusement squatté. Avec le recul, celui-ci était en bien pire état que ceux qui sont tombés et je m’étonne qu’il soit toujours debout, malgré la pluie… Oui parce que n’oublions pas que notre maire Mr Gaudin n’a trouvé que cette excuse aberrante pour justifier un tel drame. Il ne lui est pas venu à l’idée, ne serais-ce qu’une minute, que son ingérence y était aussi pour quelque chose, au profit de quartiers plus prolifiques financièrement pour la ville… D’autant plus que la presse locale a révélé qu’une enveloppe budgétaire de plus de 186 793€ (une subvention d’état), prévue pour la rénovation d’un des immeubles effondré, n’avait jamais été utilisée!!!

Dans ce dossier, on entend beaucoup parler de propriétaires inhumains, de marchands de sommeil, mais sachez que ce n’est pas toujours le cas. Prenons exemple sur le bâtiment que j’occupais. Il appartenait à un ami d’enfance travaillant aux Émirats. Il avait acheté ce dernier aux enchères via le web dans le but de placer de l’argent pour son avenir car son job était certes très rémunérateur, mais n’oublions pas que lorsque l’on est expatrié, on ne sait jamais pour combien de temps, tout peut s’arrêter en 24h et ne pas avoir cotisé en France vous laisse sans revenus. Il a eu la naïveté de croire ce qu’on lui a dit, n’ayant pas la possibilité de se déplacer pour constater les dégâts. Ce bâtiment appartenait à « une structure communale » qui en avait fait un logement social. On lui a présenté les choses ainsi : « le bâti est à rénover entièrement mais les rentrées d’argent sont garanties car tous les appartements sont occupés par des locataires dont la majorité du loyer est prise en charge par la CAF, donc vous avez l’assurance de toujours être payé ». Il a donc acheté en pensant faire des gros frais dans un premier temps mais avec l’assurance d’une rentabilité à long terme.

Bien entendu, la réalité fut toute autre… Rien que pour mon local de 7m², la rénovation a coûté 6000€!!! Alors je vous laisse imaginer pour le reste. Il a tout fait refaire à neuf par des professionnels, tout, du sol au plafond. Au bout d’un mois, j’ai constaté des dégâts des eaux récurrents dans le couloir et les fils du compteur électrique général arrachés (tout neufs).
Après enquête, nous avons pu constater que l’eau provenait des toilettes du locataire du 1er qui jetait sa serpillère aux chiottes lorsqu’elle était sale… Bouchant les évacuations par la même occasion. On lui en a parlé mais ça n’avait guère l’air de l’intéresser.
Les fils, c’était les squatteurs de l’immeuble d’à côté qui venaient se brancher illégalement, au risque d’électrocuter tout le monde… Inutile de vous préciser qu’à force de devoir payer plus cher en travaux de réparation tous les mois que d’argent encaissé, ce placement financier est devenu un gouffre. Si cela en était resté là, mais les squatteurs sont parvenus à occuper des appartements inoccupés entre 2 locataires, dégradant tout ce qui avait été entrepris. En l’espace de quelques mois, les peintures étaient à refaire, le carrelage arraché, les fils électriques à nu partout, les rats s’étaient invités au vue des tonnes d’ordures jonchant le sol. Bref, cet immeuble était à la limite de l’arrêté de péril, alors qu’il avait un propriétaire investi, mais désespéré par la situation, et financièrement démuni face à l’ampleur de la tâche lui incombant.
Il a tenté de faire installer des portes blindées pour palier au problème mais ils ont arraché les volets et fenêtres pour passer par la façade. Tout ça pourquoi? Parce qu’une municipalité n’a pas su intervenir à temps en murant le bâtiment voisin, d’autant plus que tout le monde était au courant de ce qu’il s’y passait et de la dangerosité de la situation.

 

Alors je comprends très bien que des pauvres gens à la rue puissent vouloir se loger à tout prix, mais pourquoi tout dégrader, ce n’est l’intérêt de personne?

Outre le drame survenu, ayant coûté la vie de 8 personnes, ce qui me choque le plus, c’est l’insouciance de la mairie dans la gestion de ce dossier. À ben maintenant que le pire est survenu, on prend des mesures drastiques mettant des centaines de gens à la rue et surtout on les prive de leur vie. Presque personne ne parle dans les médias du drame vécu par les voisins du n°39, ayant eu 15 minutes pour évacuer leur domicile sans savoir qu’ils ne pourraient jamais y revenir!!! Certains étaient en chaussons et pyjama, ils n’ont plus ni vêtements, ni papiers d’identité, plus leur traitement (comme cette dame souffrant d’un cancer). Les enfants n’ont plus de doudous, ni leurs affaires scolaires. Mais on ne les plaint pas car ils sont en vie. Leur immeuble a été détruit par les secours pour accéder aux gravats, enterrant toutes leurs affaires en quelques minutes. Ces débris ont été évacués nonchalamment, puis jetés sur la voie publique, au milieu d’un rond point en bout de ville, comme une décharge à ciel ouvert accessible par n’importe qui… Et le pire, les assurances ne peuvent rien entreprendre sans documents officiels que la mairie ne se foule pas à délivrer, donc zéro indemnité pour eux!!! Il risque d’en être de même pour les habitants des N°2, 4, 6, 41 au 59, et bien d’autres…
Sans compter les commerçants qui ne peuvent plus exploiter leur local, comme ma copine Emmanuelle de Seconde Vie au 4 rue Pythéas, qui relançait la mairie depuis 2 ans face à l’ampleur des fissures sur sa façade!!!

En l’espace de quelques jours, plus de 1000 personnes ont été déplacées et ce n’est pas fini! La mairie paie une nuit d’hôtel puis passe le relais aux propriétaires, faisant souvent la sourde oreille, laissant sans ressource et dans la rue des familles entières traumatisées. On peut lire des exemples accablants quotidiennement, comme cette dame partie un après-midi trouvant son immeuble évacué le soir, la serrure changée, aucun affichage, aucune information, et une municipalité partie en WE donc injoignable. Elle a été découverte par des voisins, en état de choc sur le trottoir… Ou bien encore ce jeune homme de 19 ans, ayant trouvé refuge entre la rue de Rome et la Canebière, orphelin, sans famille, sans revenus, choqué de s’être retrouvé à dormir dehors en l’espace de 24h… Que dire de la Maison des Associations, lieu choisi pour offrir un repas chaud aux familles déplacées, qui vient d’être fermée car le bâtiment risque de s’effondrer lui aussi.

Ce n’est plus un seul quartier qui est touché en son cœur, mais le centre-ville entier qui semble s’effondrer suite à l’incurie de son équipe municipale, privilégiant la construction de musées prestigieux démesurément vides, de centres commerciaux asphyxiant le commerce de proximité, ou d’hôtels de luxe trouvant difficilement sa clientèle. Laissant ses façades tomber en lambeaux sur des rues parsemées de trous béants et jonchées d’ordures…

 

UPDATE : Mon ancien bureau a été détruit par la municipalité de Marseille en février 2019

 

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